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ART, VIRUS et RUPTURE

C’est en 1984 que s’est produite ma catastrophe. Tout en faisant mes études universitaires, je louais un atelier avec des collègues dans une ancienne manufacture de chocolat sur la rue Masson à Montréal, ce qui me permettait d’avoir pied dans un début de vie artistique professionnelle. Une sorte de quartier général où j’entreposais cahiers de croquis, toiles, diapositives et tutti quanti, accumulé.e.s depuis l’âge de douze ans environ. J’avais vingt-cinq ans. C’était là aussi que je tentais de me révolutionner artistiquement. Puis, il y eut ce coup de fil une fin de soirée du mois de juin : « Notre atelier brûle, l’édifice est en feu! » En quelques heures, tout était parti en fumée.

ART
 
Pendant les années qui ont suivi, je n’ai rien fait, incapable de créer. J’ai lu, j’ai réfléchi, jusqu’à tout remettre en question. Finalement j’ai cessé la production de tableaux, quitté l’atelier, éliminé les vernissages, fait fi du marché de l’art et je suis parti autour du monde peindre en direct, en processus, sur une tente de camping en forme de dôme. Aujourd’hui et depuis plus de trente ans, je crée des actes d’art plutôt que des objets d’art.


VIRUS

« La COVID-19 est votre catastrophe. Saurez-vous en profiter pour remettre en question certaines manières de faire, ou mieux, vous ouvrir à une autre vision de la société? »

La COVID-19 est votre catastrophe. Saurez-vous en profiter pour remettre en question certaines manières de faire, ou mieux, vous ouvrir à une autre vision de la société? Je sais que vous êtes nombreux.ses à le souhaiter, mais je doute de vos capacités. Juste à voir le peu d’attention que vous avez accordée aux différent.e.s sonneur.se.s d’alarme au cours des dernières années, comme Idle No More, les 99 % contre les 1 %, le Printemps érable, etc., comment croire en votre potentiel révolutionnaire? Pour le moment, tout ce que ce petit virus est en train de faire, c’est de changer vos habitudes. Il ne contribue en rien à changer vos attitudes et votre vision du monde, car changer prend du temps. Ça prend aussi la volonté ferme de rompre avec ce qu’on était, ce qu’il y avait avant. Cette volonté, je ne la vois pas.


RUPTURE
 
Il n’y a pas de vrai changement, de changement durable sans rupture. Je sais de quoi je parle. La rupture est un concept phare pour un.e artiste. De mon point de vue, une obligation. Pour arriver moi-même à modifier ma vision de l’art, mais surtout pour pouvoir agir, ça m’a pris beaucoup de temps et énormément d’énergie mentale. Je ne rigole pas. J’ai regardé mon univers artistique au ras du sol et je me suis attardé à tout ce qui ne faisait pas sens dans mon métier d’artiste par rapport à la société à ce moment-là et je me suis forcé à tout reprendre à zéro. Forcé, oui.
 
Je me suis fait violence, comme on dit. Rien n’arrive sans effort. Il n’y a pas de miracle. J’ai agi contre toute logique, contre toutes les attentes de mon environnement immédiat pour faire ce qu’il y a de mieux en tant qu’artiste pour ma société. Tout ça n’a rien de facile, on n’a pas idée de la pression que l’on subit pour que l’on soit, que l’on fasse comme les autres. On n’a pas idée des forces en jeu, tous ces discours des politiques et des économistes répétés et répétés jusqu’à ce qu’on y croie dur comme fer. Comme une religion. Vous vous croyiez athées et vous voilà croyant.e.s!
    
Au cours des trente dernières années, en ne faisant rien comme les autres, de rupture en rupture, j’ai tenté de démontrer que, tous autant que nous sommes, nous avons le pouvoir de changer les choses dans notre propre petit cercle d’influence. Pas besoin d’être artiste pour être créatif.ive, chacun.e de nous peut utiliser son imagination pour changer ce qui ne va pas dans son propre domaine. Si je peux exister et fonctionner dans une société et y contribuer tout en étant marginalisé.e, pourquoi celle-ci ne pourrait-elle pas vivre en marge du concert des nations et contribuer à ce monde autrement, à sa manière, de façon novatrice, constructive et surtout plus humaniste?

« Si je peux exister et fonctionner dans une société et y contribuer tout en étant marginalisé.e, pourquoi celle-ci ne pourrait-elle pas vivre en marge du concert des nations et contribuer à ce monde autrement, à sa manière, de façon novatrice, constructive et surtout plus humaniste? »


MÉTRO-BOULOT-DIVERTISSEMENT-DODO

 
Évidemment, bien des choses freinent votre capacité de changement. Il faudrait vraiment être fou.olle pour ne pas voir dans quel cercle vicieux tous les êtres humains de la planète sont engagés pour subvenir à leurs besoins, cet incessant Métro-Boulot-Dodo qui bouffe tout votre temps, votre patience et vos neurones.
 
De plus, comment être un.e citoyen.ne conscient.e lorsqu’on est distrait.e et diverti.e de toutes parts? Il faut bien se rendre à l’évidence : le divertissement, joint à la consommation, bouffe probablement tout le temps dont vous disposez après le travail et le sommeil. Télé, jeux vidéo, spectacles, humour, cirque, cinéma, musique, romans, Netflix, Twitter, etc.; plus que jamais, tout cela contribue réellement à vous divertir de certaines priorités qui devraient être les vôtres.
 
Pour qu’un changement ne soit pas que cosmétique, il est nécessaire d’être informé.e, sensibilisé.e, éduqué.e. Voilà pourquoi nous devrions créer le même type de cellule de crise que nous avons actuellement en santé publique, quelque chose évidemment plus socio-scientifico-écologique qui contribuerait à mieux nous informer, à digérer l’information, à élaborer des consignes, des directives pour donner priorité aux problématiques sociales et environnementales. Plus que jamais, nous avons besoin d’informations pertinentes. D’informations spécialisées, vulgarisées pour permettre à chacun.e de réfléchir et de se faire sa propre opinion éclairée. En fait, la volonté de changement est déjà là, la majorité des gens savent déjà quoi faire, mais ils se demandent plutôt comment le faire.


UNE GARDE QUI NE PREND PAS GARDE

 
Contrairement à ce que vous croyez, ce ne sont pas les artistes les plus en vue, ceux.elles qui vous divertissent, qui aident le plus aux grandes causes et aux grands changements. Où étaient-il.elle.s, ces artistes, ces vedettes, il y a trente ans, au moment où Serge Mongeau publiait son livre sur la simplicité volontaire, une référence à l’époque pour quiconque voulait contribuer à changer les choses? Ont-il.elle.s alors proposé un pacte quelconque? Or, trente années se sont écoulées entre La simplicité volontaire et le Pacte pour la transition. C’est à croire que les artistes ne savent plus lire, qu’il.elle.s ne retiennent rien ou qu’il.elle.s pensent que tout cela ne les concerne pas. Bizarrement, trente ans, c’est le temps qu’il a fallu pour passer du changement climatique à l’urgence climatique. C’est aussi le temps que ça a pris à certain.e.s signataires du fameux Pacte pour se construire une jolie carrière!
 
La vérité c’est que nos vedettes du divertissement se trouvent à être autant sinon plus diverties que le.la citoyen.ne lambda, obnubilées qu’elles sont par la course au succès. À preuve, ce jeune auteur qui a écrit et publié en un mois un roman sur son confinement et qui avoue candidement ne pas avoir résisté à écrire son livre : « Ce n’est pas sain d’être dans cet esprit de compétition, surtout pas maintenant. Faut arrêter ça […] Mais j’ai comme pas pu m’empêcher d’écrire et de publier le livre. » Franchement, tout le monde désire des changements, mais personne ne prend le temps de considérer que le désir du succès, la compétition et l’atteinte de l’excellence qu’impose la société orientent nos choix et nos actes. Quand comprendrez-vous que ce sont nos attitudes ataviques qui nous éloignent de l’essentiel, à savoir l’empathie envers nos semblables, l’entraide, la solidarité et l’amour de Gaïa?


RÉPARER LE MONDE
 
Pourquoi ai-je vite compris que, contrairement à tou.te.s mes collègues et prédécesseur.e.s, mon travail n’aurait rien à voir avec la conception d’un nouvel esthétisme en peinture, mais plutôt qu’il s’agirait de lutter pour vaincre le consumérisme? Comment se fait-il que dans un même temps historique, la majorité des artistes hésitent de plus en plus à se voir comme tel.le.s et de moins en moins à se dire entrepreneur.se.s? Comme si c’était la meilleure solution en ce moment de l’évolution de notre civilisation où, au contraire, nous devrions tou.te.s travailler à contrer l’entreprise-monde et refuser la croissance infinie, comme le dit si bien Yves-Marie Abraham dans son livre Guérir du mal de l’infini!

Ainsi, la gauche artistique se retrouve dépassée par la droite économique et entrepreneuriale qui se transmue en avant-garde. Ainsi, la classe affaire, nouvellement férue en rupture d’innovations (nouvelles technologies, intelligence artificielle, etc.) déclasse la rupture artistique!
 
Nous voici presque de retour à la normale.

« Complices, les industries culturelles, l’univers médiatique et le système des beaux-arts, plus fidèles que jamais au productivisme et au consumérisme (méga déficit et austérité obligent), invitent les artistes à se réinventer. »

Complices, les industries culturelles, l’univers médiatique et le système des beaux-arts, plus fidèles que jamais au productivisme et au consumérisme (méga déficit et austérité obligent), invitent les artistes à se réinventer.
 
Allez, les artistes rompez, mais pas trop!
Innovez, mais restez dans les clous!
 
Soyons sérieux.ses. Depuis au moins les trente dernières années, tou.te.s les créateur.rice.s que je connais qui ont rompu avec les vieilles manières d’agir, tou.te.s ces artistes, ces sociologues, ces philosophes qui ont travaillé à soutenir et à réparer le monde (selon les termes de la philosophe Corine Pelluchon) sont resté.e.s dans l’ombre.
 
Comment croyez-vous faire évoluer la société si vous ne les connaissez pas, si vous n’êtes pas en contact avec leurs pensées, leurs actions, si vous ne les avez pas comme modèle, exemple, référence, soutien, mentor.e, ami.e, complice...?


ARTISTES DE LA RUPTURE SOYEZ VIRAUX.ALES ET NON RIVAUX.ALES!

 
Dans son livre L’avenir de l’art, publié en 2011, le sociologue Hervé Fisher écrit que l’art sera ÉTHIQUE ou ne sera pas! Bien qu’il y a trente ans, je ne connaissais pas M. Fisher, c’était aussi ma vision des choses au moment où je décidais de « limiter la production d’objets en art pour augmenter la production de sens dans la société. »
 
Si nous réussissons vraiment à rendre l’art, et incidemment la société, plus éthique, il est probable que pour un temps nous ne puissions plus créer de grandes œuvres, mais inévitablement, nous ferons œuvre utile…

Nous, artistes de la rupture, sommes votre futur
MAINTENANT
Faites place!


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