Retour sur Bring Your Own Dead
Je ne l’ai jamais aimé. Je ne sais pas tout à fait pourquoi.
J’ai d’abord pensé que c’était la présence réelle des corps qui me dérangeait. Mais comme j’aime l’art performance, je ne pense pas que ce soit ça.
Je n’ai jamais subi l’illusion théâtrale, d’aussi loin que je me souvienne. Je vois des personnes réelles et civiles sur scène et non des personnages. Comme je vois des civils sous l’uniforme des policiers. Je vois des personnes qui font semblant. Qui se forcent. Quand j’étais jeune, je me demandais où les actrices et les acteurs avaient garé leurs voitures. Je ne me demandais pas si le personnage allait aimer, trahir ou mourir.
Le théâtre que j’ai aimé est le théâtre des gens qui n’aiment pas le théâtre. J’ai aimé le théâtre de Jean-Paul Quéinnec, de Hélène Juteau, de Jacob Wren par exemple.
C’est en lisant AUTHENCITY IS A FEELING: MY LIFE IN PME-ART de Jacob Wren que j’ai eu l’idée de monter une pièce de théâtre. L’idée que j’ai reprise à PME-Art et Jacob Wren : Que tout le monde soit soi-même.
J’ai monté une pièce de théâtre où tout le monde était « soi-même ». Ma technique pour cela a été de ne pas dire aux gens qu’ils ou elles participaient à une pièce de théâtre.
Le titre de la pièce : BRING YOUR OWN DEAD.
La pièce est dédiée à celles et ceux qui vont mourir.
L’histoire : Au Québec, deux poétesses d’une grande ville, chacune mystérieuse à sa façon, sont invitées à une vraie-fausse soirée médiumique dans une petite ville de région par un Français qui y réside. Elles sont accompagnées d’un artiste aux tendances libertaires, lui-même venant de la grande ville, qui commissarie alors la programmation d’un centre d’art actuel dans la même petite ville. La soirée est organisée en partenariat avec une jeune artiste Française qui dirige le centre d’art actuel par intérim. Personne ne sait vraiment comment la soirée va se passer. Elle se passe.
La soirée a bel et bien eu lieu au centre d’art actuel Le Lobe de Chicoutimi le vendredi 22 février de 19h à 3h du matin environ. Chacun et chacune a joué son rôle dans la pièce sans le savoir, ayant choisi de se mettre dans la situation que je proposais.
La pièce BRING YOUR OWN DEAD a ainsi abordé les thématiques de la mort et de la poésie, mais aussi celle de la place de l’artiste au sein d’un événement culturel.
La création s’est faite collectivement ce soir-là, s’initiant d’elle-même. Les gens sont venus au Lobe pour voir une performance artistique – laquelle avait bénéficié de promotion dans un journal local et sur les réseaux sociaux –, ils et elles ont assisté à une pièce de théâtre dans laquelle ils et elles jouaient.
La mise en scène : tout le monde en cercle, ouverture d’un dialogue participatif, papier, crayons, ignorance de jouer une pièce de théâtre, tout cela cherchait à mettre en lumière la notion de rôle dans l’événement artistique.
Bien souvent les rôles sont divisés en trois grandes catégories : les artistes, les médiateurs/médiatrices, les spectateurs/spectatrices. La première catégorie possède dans le contexte de l’événement un capital d’autorité (accès à la parole et à l’écoute plus important, valorisation de l’expression, légitimation de la production) plus fort que les deux autres. La troisième, moins forte que les deux autres.
Dans une soirée de poésie par exemple, les artistes sont souvent isolés sur une scène marquant symboliquement leur ascendance. Les organisateurs et organisatrices ont aussi accès à la scène, mais moins, sans bénéficier de la même attention que les artistes. Le reste des personnes demeure dans l’ombre de la salle.
Ceci est vrai aussi d’un concert de musique et de plein d’autres événements. Ceci a d’ailleurs été remis en cause par différents artistes et mouvements.
La formule micro-ouvert apporte des changements significatifs à ces rapports d’autorité.
La mise en scène voulait souligner ces tensions et leur dynamique. Dans ma pièce parfois les catégories s’organisaient de façon bien traditionnelle (chacun et chacune connaissant son rôle à jouer pour ce qui est de ce genre de situation). La triade traditionnelle des rôles a pris forme au début, à la reprise de la pause et suivant des rappels réguliers « inconscients » de l’un ou l’autre des catégories. Les catégories se sont mélangées en d’autres moments. Le capital d’autorité et de respect se déplaçant, se mouvant, augmentant de façon générale, diminuant de façon générale. L’apanage de l’acte créateur s’est aussi déplacé, se dispersant parfois parmi les « spectateurs et spectatrices ».
BRING YOUR OWN DEAD questionne ainsi les jeux de pouvoirs symboliques et les mises en scène de l’autorité dans le milieu culturel. Le thème de la mort rappelant l’égalité de condition universelle de toutes et tous les personnages sur le fond de laquelle ressortent les différenciations sociales.
Je pense que l’interprétation de la pièce, au mieux, serait la somme des vécus de celle-ci.
« Et toi ? Me dira-t-on, tu jouais dans ta pièce, tu savais que tu jouais ? Tu jouais quel rôle ? »
Touché. Je dois encore y réfléchir…
« Dans la pièce tu jouais un médiateur. Dans ce texte tu récupères le rôle d’artiste »
Oui. Bien vu. C’est vrai.
Je n’ai rien inventé et ce genre de théâtre existe depuis longtemps. Combien de temps ? Je ne sais pas. Je lis peu sur le théâtre. Je n’aime pas le théâtre.
J’aimerais peut-être recommencer. Mais je dois agir de façon à ce que personne ne se doute de rien.
Un thème que j’aimerais travailler est la mise en scène de soi, dans le milieu artistique, dans la destruction volontaire d’un capital, qu’il soit monétaire, social, de santé, intellectuel etc… et le rapport de cette mise en scène avec les sentiments d’individualité et de solitude de notre société néolibérale.
L’idéal serait que je n’y figure pas. ⬤
Photos : Yzé Raoux
Article issu de notre partenariat non-autorisé avec Folie/Culture : https://folieculture.org/fr/11328-2/?fbclid=IwAR1pn-qlqO_0wcaKLCYjqzKu0Q1NsCxMaZOVQxtLXeCawki1JIJysHivbEA