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La « prestation canadienne de relance économique » (sic) : l’art de faire payer les travailleur.euse.s pour l’arrêt de leur travail

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Voici un texte que j’avais perdu de vue, que j’avais écrit au début du mois d’août et auquel j’ai arrêté de réfléchir devant l’apathie et le manque de critique envers les mesures fiscales d’un point de vue pro travailleur.euse.s. Ce texte ne fut jamais publié, mais oh! que l’histoire me donne déjà raison avec l’avènement de la PCRE. J’y ai modifié des éléments cosmétiques, mais en gros, rien ne change, tout est pareil… À votre plaisir de me lire et de valider ma colère qui sera potentiellement la vôtre!



Nous venons d’apprendre que la PCU prendra bientôt fin et qu’une « prestation de transition » sera offerte aux chômeur.euse.s non admissibles à l’assurance-emploi. À première vue, il peut paraître justifié de tenter d’aider les plus vulnérables avec ce « programme distinct » visant à élargir de manière potentiellement durable l’accessibilité à l’assurance-emploi. Toutefois, nous devons nous questionner sur les motivations derrière cette décision et surtout sur la provenance des fonds. 

Revenons en arrière de quelques années. Beaucoup se souviennent de la réforme de l’assurance-chômage du gouvernement Harper de 2012-2013, qui avait complété la mutation de l’assurance-chômage en assurance-emploi, déjà initiée par les libéraux fédéraux (Campeau, 2001). Ces gouvernements ont rapatrié sous leur égide non seulement la gestion, mais également les fonds attachés au programme, mesure qui fut entérinée par les tribunaux malgré les fortes contestations légales de la part des syndicats. Il faut dire qu’il s’agissait d’un des fonds indépendants les mieux financés et qu’il était, de ce fait, hautement alléchant surtout pour atteindre artificiellement l’équilibre budgétaire, comme l’ont fait les conservateurs grâce à ce tour de passe-passe administratif. De plus, ceci permit également une réforme en profondeur de l’accessibilité à cette assurance, qui culmine aujourd’hui à un malheureux taux de 42 % d’accessibilité, ou plutôt de 58 % d’inaccessibilité. Une assurance à laquelle nous cotisons pourtant tou.te.s à chaque paie, aussi bien les travailleur.euse.s que les employeurs.

La logique était qu’il fallait mettre de l’ordre dans les « mauvais.es » prestataires étant donné le « désincitatif au travail » que représentait l’assurance-chômage. Cette réforme s’inscrivait dans un grand plan des conservateurs économiques de tous partis visant à réduire les « rigidités du marché du travail » (c.-à-d. les droits des travailleur.euse.s). Bien que ces décisions ont fait des vagues et ont mené à des contestations judiciaires de la part des syndicats, les tribunaux n’ont pas su rendre justice aux dépouillé.e.s (c.-à-d. nous tou.te.s!), qui ont vu leur accès à l’assurance relative au chômage se restreindre.

De retour en 2020, nous voyons arriver une pandémie qui a affecté l’ensemble de nos économies, de ce fait créant une vague de chômage. À première vue, le gouvernement fédéral et la Banque du Canada y sont allés de milliards afin de soutenir l’économie et les travailleur.euse.s, ce qui était – du moins d’emblée – une « bonne » chose à faire dans ce contexte exceptionnel. Financées par un déficit budgétaire, la PCU et autres politiques d’aide que nous avons vues apparaître furent bienvenues. Toutefois, nous avons collectivement manqué le bateau à ce moment. Les sommes mobilisées étaient telles qu’elles rendaient possible une véritable transformation structurelle de notre économie qui aurait pu permettre d’amorcer une transition énergétique et écologique digne de ce nom. Cependant, si nous acceptons l’argument selon lequel il fallait maintenir le consensus pour passer à travers la crise, il fallait essayer de plaire à tout le monde. Ainsi, tou.te.s ont reçu une part du gâteau, mais certain.e.s plus que d’autres…

Alors que les déficits engendrés pour faire face à la COVID furent somme toute acceptés par la majorité, voilà que revient le spectre de la dette nationale! Dans les discours des conservateurs fiscaux d’à peu près tous les partis et les médias, on voit revenir cette ligne idéologique visant à mettre un frein à la croissance de la dette de l’État. Peu importe si l’OMS nous annonce une longue traversée avant le retour « à la normale » et si nos voisins du Sud entreront fort probablement tôt ou tard en récession étant donné les problèmes structurels d’endettement et d’instabilité qui perdurent depuis 2008 un peu partout (Keen, 2018).

« La dette, la dette, la dette! »

La dette, la dette, la dette! « Mais qui va payer pour ça » ? Pourtant, la dette n’est pas seulement un « fardeau pour les générations à venir » (Bégin, Dufour et Posca, 2019), c’est aussi un actif fondamental pour la stabilisation de l’économie. Pensons aux banques, aux assureurs, aux fonds de pension, etc., qui font face à une incertitude croissante sur les marchés financiers et se tournent vers ces actifs étatiques1. Toutefois, les discours politiques et médiatiques semblent encore relayer cette vieille cassette du « bon père de famille qui balance bien son budget », qui a très bien servi le développement de politiques austéritaires au Canada comme au Québec.

Enfin ceci nous amène à la question du passage de la PCU à cette nouvelle « prestation transitoire ». Le gouvernement semble vouloir bonifier l’assurance-emploi pour accroître son accessibilité. Alors qui serait contre la vertu? Cela fait assez longtemps que l’on attend le retour d’investissement du gouvernement dans ce domaine pour compenser les piètres performances en matière d’accessibilité au Canada2. Toutefois, il est fort probable que ces nouveaux dollars apportés à l’assurance-emploi ne soient pas à la hauteur des besoins des chômeur.euse.s. De ce fait, les fonds de l’assurance-emploi seront utilisés pour payer ces prestations, et ce, plutôt qu’engendrer une dépense fiscale supplémentaire au risque d’augmenter le déficit. Bien que le gouvernement se targue de ne pas augmenter les cotisations à l’assurance-emploi, ceci signifie de facto une baisse pour le fonds, à moins d’une compensation à parts égales par le gouvernement fédéral. En ce sens, comme l’histoire récente nous l’a déjà démontré, il faut donc envisager d’autres resserrements dans l’accessibilité aux prestations dans les années à venir. Mais c’est la logique ici!

Il est à souligner que même dans le meilleur des mondes, où l’État décide de mettre l’argent en quantité nécessaire dans l’assurance-emploi, ce choix de vecteur est directement lié à cette question de contrôle sur les travailleur.euse.s, particulièrement ceux.elles à bas salaire, mais tou.te.s les autres aussi. Comme le soulignait le Conseil du patronat, cette « prestation transitoire » est à ses yeux préférable à la PCU, étant donné qu’elle comporte des « mécanismes intrinsèques de contrôle et d’intégrité, comme l’exigence de recherche d’emploi et de disponibilité de ceux qui en bénéficient » plutôt qu’être un « bar ouvert » et de mettre « des bâtons dans les roues » des entreprises3. De ce fait, on resserre l’accessibilité pour faire face aux « mauvais.es » prestataires, et ce, sans considération pour l’incertitude et la morosité économiques, particulièrement présentes dans certains secteurs comme le commerce de détail. On en vient à se demander comment le Conseil national des chômeuses et chômeurs y voit une « bonne décision ».

Bien qu’on entende parler des fraudes à la PCU qui pourraient être réglées si elle était gérée par l’assurance-emploi, même si le nombre de cas n’est pas si alarmant lorsqu’on le traduit en valeur monétaire relative, il peut être difficile de croire que ces autres employé.e.s gouvernementaux.ales sont radicalement mieux outillé.e.s que ceux.elles gérant la PCU4. De l’autre côté, nous n’avons même pas à nous en faire avec ceux.elles qui ont touché la PCU4 sans y avoir droit, étant donné qu’il.elle.s étaient généralement en emploi ou trop riches, et que l’impôt est là en fin d’année pour régler ces « injustices ». Ce type de discours est un peu comme la chasse aux « voleur.euse.s » d’assurance sociale qui était un discours en vogue dans les années 1990, alors qu’il s’agissait de faire la « chasse généralisée au BS » (sic)… Nous avons bien vu ce que cela a pu faire aux plus démuni.e.s : coupures, resserrements de l’accessibilité, précarité, etc.

De plus, le financement par les travailleur.euse.s de leur propre chômage est en phase avec les idées des membres du Conseil du patronat : leur crainte d’être taxés afin d’éponger un déficit budgétaire les pousse à s’opposer (du moins publiquement) à toute mesure déficitaire. Mais surtout, il est question pour eux que les fonds publics dépensés pour soutenir l’économie soient dirigés vers leurs besoins plutôt que vers des chômeur.euse.s « oisif.ive.s ». Bien sûr, en faisant fi du fait que ces dernier.ère.s sont aussi les mêmes consommateur.rice.s qui viennent dépenser chez eux ou les mêmes locataires qui doivent leur payer un loyer. L’enjeu principal étant qu’il ne faut surtout pas avoir de « désincitatif au travail » sans quoi qui travaillera au salaire minimum ou pour un autre salaire insuffisant5?

« [...] dans le contexte actuel et comme toujours, ce que désire le patronat, c’est des travailleur.euse.s " flexibles " qui se " réinventent " et acceptent le minimum de ce que le " marché " a à leur offrir, où la compétition internationale oblige! »

Donc, nous comprenons bien que la fin de la PCU et le début de la « prestation canadienne de relance économique » signifient non seulement que les travailleur.euse.s payeront d’une manière ou d’une autre, mais aussi que les conditions d’accès seront resserrées à court comme à moyen et à long terme. Aussi, nous pouvons entrevoir que dans ce contexte se dessine une nouvelle configuration de l’assurance-emploi qui peut être là pour rester dans une forme ou une autre, malgré le caractère « transitoire » et « parallèle » de cette politique. Car, dans le contexte actuel et comme toujours, ce que désire le patronat, c’est des travailleur.euse.s « flexibles » qui se « réinventent » et acceptent le minimum de ce que le « marché » a à leur offrir, où la compétition internationale oblige! De plus, s’il y a bien une chose qu’il ne faut pas oublier, c’est que les crises sont un moment merveilleux de transformation de nos économies, transformation qui est rarement des plus progressives (Mirowski, 2014). On peut donc s’attendre à une extension des mêmes mesures néolibérales avec la nouvelle garniture du moment (Mirowski, 2020).

Dans le contexte actuel, il y aura un déficit et la question de la dette est au mieux une cassandre médiatique, surtout considérant que la PCU n’est pas la principale source de dépenses dans ce « budget de crise », si l’on prend le temps de regarder l’ensemble des subventions ainsi que les interventions de la Banque du Canada. Enfin, il n’y avait aucune justification de ce côté rendant nécessaire la fin de la PCU de cette manière, outre les intérêts du patronat relayés aux communes par le Bloc et autres conservateurs économiques pour ramener « à la normale » le marché du travail.

De ce fait, il est important de se questionner sur la nature de cette politique. Alors que le discours public austéritaire « nouvelle vague » essaie de nous angoisser avec le déficit, s’offrant du coup une légitimée de façade, ce qui est véritablement mis de l’avant est ce contrôle sur les gens en situation de chômage et surtout sur les travailleur.euse.s en emploi6. Un tel cadre limite toute réflexion publique sur l’état du « marché du travail », malgré les conditions de stress économique qui perdurent depuis 2008 et qui semblent n’aller qu’en accélérant dans les années à venir (Keen, 2017). Ainsi, actuellement, on semble se préoccuper davantage de trouver du « cheap labor » pour des emplois n’offrant guerre mieux que le salaire minimum. Car, c’est ça les PCU à 2000 $, un temps plein en deçà du salaire minimum… Si vivre en deçà du seuil de revenu viable (Hurteau, Labrie et Nguyen, 2019) sans travailler est un « désincitatif » au travail, peut-être que les conditions de travail générales d’un trop grand nombre sont fortement à revoir…

Alors que nous n’avons jamais eu autant besoin d’employé.e.s pour faire face à la pandémie, mais surtout étant donné la « pandémie » environnementale qui ne chôme pas, nous nous devons de réfléchir à l’avenir de la « force de travail », non seulement dans son intégrité physique et morale, mais aussi dans son occupation. Actuellement, le « marché du travail » conventionnel ne semble pas avoir répondu adéquatement ni à un ni à l’autre7.

« La crise sera encore longue et peut-être la première de plusieurs, nous nous devons donc de ne pas céder aux caprices du patronat »

La crise sera encore longue et peut-être la première de plusieurs, nous nous devons donc de ne pas céder aux caprices du patronat qui est trop habitué à des salaires stagnants, où les travailleur.euse.s acceptent ce qu’on leur donne, grâce à la complicité du gouvernement, entre autres, par l’entremise de l’assurance-emploi. Plutôt qu’une vision à court terme cherchant simplement le « retour à la normale » le plus tôt possible, il faut initier ce changement maintenant que l’argent est sur la table et non dans quelques années quand l’austérité « nécessaire » sera de retour. C’est pourquoi des propositions d’emplois étatiques (Hébert, 2020) et d’emplois garantis (Nguyen, 2020) sont du moins beaucoup plus logiques à mettre de l’avant, surtout dans un contexte marqué par une incapacité à offrir les services publics nécessaires, même en ce qui a trait au traçage de la COVID (Langevin, 2020b)!

 

1 Il est tout de même à considérer que le paiement d’intérêt sur la dette a un caractère régressif sur la redistribution des revenus (Hager, 2016).

2 Le gouvernement Trudeau avait fait de sa réforme de l’assurance-emploi un enjeu électoral visant à accroître l’accessibilité du régime selon un argument « pro travailleur.euse.s », mais une telle réforme à la hauteur de ces promesses se fait toujours attendre.

3 Il est intéressant que La Presse, le samedi 1er août, ait publié trois articles relayant les propos et les idées du gouvernement et du Conseil du patronat pour enfin mettre fin à cette PCU qui « déstabilise » le marché du travail.

4 Surtout, si l’on considère leurs ressources et leur nombre qui sont insuffisant.e.s… Je vous mets au défi d’appeler pour parler à un.e employé.e de l’Agence du revenu du Canada. Bonne chance! Prévoyez-vous quelques journées de libres…

5 Aussi, on peut se questionner grandement sur la réalité statistique de ce « désincitatif au travail », tout comme sur l’impact du salaire minimum sur la croissance, où souvent les données utilisées pour justifier ces hypothèses du patronat relèvent davantage de « régressions fallacieuses » (Langevin, 2020a) basées sur un mythe populiste et méprisant.

6 Comme Simmel (2011 [1907]) l’expliquait par rapport à la production de la figure du « pauvre », celle-ci est davantage là pour maintenir les travailleur.euse.s sur le droit chemin en leur faisant accepter leur subordination journalière.

7 Surtout, ce n’est pas le temps de tomber dans le piège de rêver un monde « post-travail » permis par une extension de la PCU à la sauce « revenu minimum garanti » (Alaluf et Zamora., 2016), mais bien d’initier de véritables réflexions sur les réorientations nécessaires du monde du travail où les fins et les moyens seraient davantage déterminé.e.s par les travailleur.euse.s eux.elles-mêmes (p. ex. voir Friot, 2012 ou bien Lebrun, 2014).

 

 

Bibliographie

Alaluf, M. et Zamora, D. (2016) Contre l’allocation universelle, Lux.

Bégin, A., Dufour, M. et Posca, J. (2019) Dette publique canadienne : exploration de quelques idées reçues, IRIS.

Campeau, G. (2001) De l’assurance-chômage à l’assurance-emploi, Les éditions Boréal.

Friot, B. (2012) L’enjeu du salaire, La Dispute.

Hager, S. (2016) Public Debt, Inequality and Power, University of California Press.

Hébert, G. (2020) Le gouvernement doit embaucher 250 000 personnes maintenant, IRIS.

Hurteau, P., Labrie, V. et Nguyen, M. (2019) Le revenu viable 2019 et les situations de pauvreté, IRIS.

Keen, S. (2017) Can We Avoid Another Financial Crisis?, Polity.

Langevin, R. (2020a) Voici pourquoi la plupart des études d’impacts du salaire minimum sont biaisées, IRIS.

Langevin, R. (2020b) Le gouvernement québécois sait comment freiner la pandémie, mais tarde à agir, IRIS.

Lebrun, P. (2014) L’économie participaliste, Lux.

Mirowski, P. (2014) Never Let A Serious Crisis Go to Waste, Verso.

Mirowski, P. (2020) L’après ne sera pas favorable à une société de gauche, mais à une accélération des mesures néolibérales, Libération.

Nguyen, M. (2020) Après la crise : New Deal vert et emplois garantis, IRIS.

Simmel, G. (2011 [1907]) Les pauvres, Quadrige/PUF.

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