Ce qui nous motive?
Artefact performatif, Tomasz Szrama, 2013. Photo: Christian Bujold |
La question n’est pas neuve, mais mérite qu’on y revienne, d’autant qu’en pandémie la culture est en sourdine.
En 2016, Michelle Lacombe, toujours à l’heure actuelle à la direction générale de ViVA! Art action, avait publié un texte1 fort important défendant la mort potentielle des structures collaboratives en art. L’eau a coulé sous les ponts depuis, assurément, puisque ViVA! est encore en vie. Cela dit, le texte mérite relecture puisqu’il prophétise un danger grandissant au sein des institutions artistiques.
Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre qu’elle parlait de son expérience personnelle.
Statu quo
Dans certaines institutions artistiques, il n’était pas possible d’envisager une réforme sans que l’on soupçonne un « putsch » ou une tabula rasa. Les administrateur.rice.s auxquel.le.s la tâche de réformes revenait ne voyaient pas la fin de ce labeur et y voyaient une offense à l’historique de cette institution. C’était une insulte. Et les employé.e.s comprenaient qu’il valait mieux éviter ce terrain. Le statu quo devenait la norme.
« Le statu quo devenait la norme. »
Dans d’autres institutions artistiques au conseil administratif moins « regardant », les comportements réformistes se faisaient au sein de la tache aveugle de ce dernier. Alors, cherchant à éviter les soucis, certaines personnes omettaient certaines pratiques. Entre la conception instituée de l’organisme diffuseur et celle portée par l’idée d’une réforme, il y avait contradiction. Naturellement, c’est l’idée d’une réforme qui primait dans l’esprit des gens hors des institutions.
On avait aussi retenu que les artistes qui s’essayaient travailleur.euse.s culturel.le.s étaient de plus en plus inconjugables dans les institutions ayant à cœur leur statu quo. En raison d’ajouts incessants de tâches administratives pour contenir l’institution, on repoussait les réformes à plus tard. Pour certain.e.s jeunes, les centres d’artistes autogérés étaient un mensonge! Pour d’autres, se rappeler que les centres d’artistes étaient historiquement des collectifs d’artistes leur servait de palliatif acceptable pour croire encore en ces institutions.
Tout cela n’annonçait rien de bon. On l’a constaté maintes fois quand, lors de nombreuses AGA de ces institutions, plusieurs artistes ne pouvaient que verser un désintérêt flagrant lors des mises en candidature au sein du conseil administratif ou encore face au faible pourcentage des subventions allant dans les cachets d’artistes. Ces gens avaient transgressé le tabou des tabous en démontrant, par leur présence, leur désintérêt à l’égard des choses qui font de l’institution une institution. À tout le moins, l’institution ne méritait pas la moindre prise de parole lors d’AGA.
En d’autres mots, devant ces gens muets se réclamant d’un autre concept de centre d’artistes autogéré que celui maintenant institué, et surchargeant symboliquement certains silences et certaines non-actions, il devenait de plus en plus difficile de croire en l’institution artistique. Pour y croire, il fallait verser dans l’aveuglement volontaire puisque verser des cachets décents en considérant le pourcentage himalayen toujours de plus en plus himalayen alloué à la part administrative de l’institution, espérer être exposé.e dans ce lieu et y être payé.e convenablement, tout ceci était impensable.
Ces gens ne voulaient pas dire ces propos qui leur brûlaient les lèvres. Probablement y voyaient-ils les conséquences inéluctables d’être marqué au fer au sein d’un écosystème qui carbure à la reconnaissance par les pairs?
La situation était connue. Les cris du cœur et les prises de bec pour dénoncer l’institution telle qu’elle est devenue se sont multipliés au fil des ans. De temps en temps, on constatait une augmentation du nombre de membres au sein des centres d’artistes, en omettant volontairement que ces augmentations concordaient à des tirages de cartes de membre, à la distribution de ces dernières en tant que « cadeau » lors de bénévolat pour le centre, ou de rabais frôlant la mise en gratuité de ces cartes de membres. Puis la situation continuait de se voiler derrière les sourires vides et les applaudissements timides lors d’augmentation des subventions de l’institution artistique.
Inimaginable
Et ceux.elles qui rappelaient la gravité de la situation étaient traité.e.s de jeunes, surtout pas d’artistes, et de complices de la destruction des acquis historiques. On les accusait d’être trop radicaux.ales et de nuire au statut déjà précaire des arts dans notre société.
Puis les centres d’art ainsi institués à culminer à recevoir peu de pratiques variées pouvant prendre forme dans leur formulaire lors d’appel de projets. Tous ces éléments ont obligé les différents comités de programmation à constater que le réel ne disparaît pas même si on ne le regarde plus.
« Heureusement, tout cela est impossible dans notre centre d’artistes adoré. »
Heureusement, tout cela est impossible dans notre centre d’artistes adoré. Peut-on imaginer l’indifférence des membres, le faible taux de participation et de prise de responsabilités des administrateur.rice.s ou des employé.e.s du centre face à l’institution telle qu’elle est devenue, au risque de supposer qu'il.elle.s souhaitent secrètement ou inconsciemment que la structure s’effondre plutôt qu'elle se réforme? Après toute cette motivation de plus en plus ponctuée d’inaction et de mutisme, ces postes mis en intérim chaque année : non, bien sûr que non.
N’est-ce pas?
⬤
1 Lacombe, Michelle. (2016). In Defense of the Impending Death of a Collaborative Platform. Consulté en ligne [lien web] http://whatdrivesus.net/michellelacombe/