Mathieu monument
Duplessis,
Reviens,
On a tant besoin d'un souverain
– Mathieu Boycotté, Mise en demeure, 2013
Mathieu Ubu |
« Appelons Mathieu la figure de notre vide. Mathieu n’est rien, mais c’est notre rien à nous »
Appelons Mathieu la figure de notre vide. Mathieu n’est rien, mais c’est notre rien à nous, le grand métaphysicien de notre nulle part, un Ubu moins comique, petit roi lui aussi d’un pays qui n’existe pas plus que la Pologne ou l’Albinie (saluons en passant André Forcier, la plus grande figure de notre liberté). Mathieu est docteur en sociologie, science des solutions sans imagination. Il a reçu le prix Omer-Héroux, qui n’avait jamais été décerné avant et ne semble pas l’avoir été depuis. Après Mathieu, le déluge. Mathieu a aussi reçu le prix « Tapis rouge » de l’Académie de la Carpette anglaise et le prix « Impératif français »; dont nous ne pouvons déterminer lequel des deux est le plus ironique. Mathieu lui-même n’est peut-être qu’ironie, cause et conséquence d’une petite blague dont il est seul auteur et seul public. Mais cela n’a aucune importance. Mathieu existe, tel qu’en lui-même. De cela, nous avons la certitude, car Mathieu agit. Mathieu est essayiste, Mathieu est chroniqueur, Mathieu parle, Mathieu écrit : des essais bien sûr, des livres d’entretiens, des lettres aux journaux, des chroniques, des propositions, une thèse, des programmes, des livres même. Ubu tenait cour, Mathieu blogue et il nourrit son fil Twitter. Triste époque. Nous soupçonnons Mathieu d’avoir écrit lui-même sa propre page Wikipédia. Martine à la plage, Caillou à la maison, Mathieu dans toutes les chroniques et toutes les pages op-ed de tous les journaux; bravo Binou.
Mathieu Binou |
Et Mathieu donne cours et conférences. Mathieu est lectio et disputatio : l’homme fait dialectique, l’Abélard de notre petit siècle. Au terme d’un cours qui serait intitulé « La pensée de Mathieu », offert en ligne ou en présentiel par Mathieu lui-même, les étudiant.e.s pourraient : explorer les grandes transformations économiques, politiques, démographiques, sociales et culturelles de Mathieu; aborder, dans une approche pluridisciplinaire, les grands enjeux de société auxquels Mathieu fait face ou dont il fait partie; déconstruire plusieurs idées reçues et stéréotypées sur Mathieu, en mettant l’accent sur la diversité de sa pensée; créer un lieu d’échanges et de débats sur Mathieu; opiner sans s’empêtrer dans les faits; prendre parti et position; parler au nom de (de la nation en particulier, des petites nations en général, du passé, de ce qui aurait dû ou pu être); passer pour (des savant.e.s sur la place publique, des êtres sensibles, quelqu’un.e qui a de l’esprit); paraître (écouter, réfléchir, savoir); avoir l’air (de respecter, de comprendre); se confondre (au destin d’une petite nation qui tient raison du seul fait de sa petitesse); se positionner (comme victime de l’histoire); feindre l’empathie (pour les autres victimes). Ironie oblige, les séminaires de deuxième et troisième cycle qui prendront Mathieu pour objet seront des safe spaces. Une université d’été sur Mathieu est même envisagée. La chose sera organisée par l’École Supérieure d’Études Mathieu, qui est à la fois espace de concertation multifacultaire à vocation pluridisciplinaire et pôle d’excellence du nouveau savoir pertinent. Au cours de la semaine, une vingtaine de conférencier.ère.s provenant de différentes disciplines examineront de façon critique divers enjeux liés à Mathieu. Il y aura un cocktail de bienvenue, des petits fours mous, un vin de l’amitié (Michaëlle Jean, marraine, fera les honneurs) et des ateliers qui auront pour titre : « Corps, colonialisme et Mathieu », « Santé reproductive et Mathieu », « Francophonie, fédéralisme, multilatéralisme et Mathieu », « Progrès et défis Mathieu », « Communication pour le changement et Mathieu » ainsi que « Mathieu et la résistance à la mondialisation ». Un séminaire en théâtre offrira des workshops sur la « méthode Mathieu », toute en performativité auto-instituée. Les étudiant.e.s apprendront à se frotter le menton, à s’interrompre les un.e.s les autres sans en avoir l’air, à gloussonner, à dire des « ouioui » impatients en préambule à des « maismais » inévitables et à se pencher vers l’avant quand il.elle.s parlent, comme écrasé.e.s par le poids de leur propre sincérité. Il.elle.s liront et citeront des textes fondamentaux et pourtant méconnus des béotien.ne.s contemporain.e.s; feront des ronds de jambe pseudo-savants; écriront des textes qui seront comme des chiens qui suivent leur propre queue. En plénière, Foucault, Butler et Saïd seront invoqués. Au terme du cours : trois crédits et une publication savante, coéditée par trois professeur.e.s titulaires membres de ceci et de cela, chercheur.e.s associé.e.s à la Chaire Raoul-Dandurand : Mélanges en l’honneur de Mathieu.
Le passé, c’était une saprée époque. L’abbé Groulx disait « race » pour signifier la personnalité bien nette d’un groupe ethnique issue des hardis colons de France, Staline était le petit père sévère des peuples, et Robert Bourassa appelait l’armée canadienne en renfort. Il n’y a pas de pire soulèvement que ceux qu’appréhendent les couillon.ne.s. Nous rions encore de l’honorable Marc Lalonde dansant la danse des canards dans Le temps des bouffons. Nous rions, mais plus jaune, de Robert Charlebois pour sa révérence de soubrette à Sagar, dans Le temps des bouffons 2012.
Mathieu Staline |
Sujet souverain de sa propre réification, Mathieu est idoine pour un temps où la colère ontologique déboulonne les statues. Robert Lee en Virginie, Léopold II à Anvers, Edward Colston à Bristol, Cecil Rhodes à Capetown. À Montréal, la station de métro Lionel Groulx serait débaptisée (hihihi). Black Lives Matter semble-t-il, autochtones lives aussi, et les femmes. Finie la mission civilisatrice de l’homme blanc, menacée notre race, perdu notre beau patriarcat. Brutes et incultes importent chez nous une haine antiblanche tout américaine, et pratiquent quelque chose qui s’appelle « le racisme anti-Québécois ». Il y a menace en la patrie, do your own research.
Mathieu Bourassa |
« Né vieux, Mathieu est une jeune fille masculine qui a toute l’écrasante assurance de sa parfaite banalité. C’est la pucelle qui boutera hors de notre beau domaine les ontologiques porteur.euse.s de rectitude politique et autres hérésies. Mathieu est prêt à la guerre totale. Just watch Mathieu. »
Né vieux, Mathieu est une jeune fille masculine qui a toute l’écrasante assurance de sa parfaite banalité. C’est la pucelle qui boutera hors de notre beau domaine les ontologiques porteur.euse.s de rectitude politique et autres hérésies. Mathieu est prêt à la guerre totale. Just watch Mathieu. En hommage à son courage, nous avons érigé une statue au parc des Champs-de-Bataille des plaines d’Abraham/Battlefields Park, Plains of Abraham, au beau mitan d’une ligne imaginaire entre le Monument Jeanne-d’Arc et le Monument Charles-de-Gaulle. Monument (avec un « M » majuscule même quand ce n’est pas au début d’une phrase, comme Nation, Peuple et Liberté) est le nom donné à une statue qui n’a pas encore été déboulonnée par ceux.elles qui croient à une chose qui s’appelle l’Histoire comme on lave son char.
Mathieu Monument |
Ainsi, notre statue est-elle un Monument. Disant « érigé », nous sommes immodestes; pardonne-nous Mathieu. En vérité, nous n’avons fait que reconnaître l’œuvre que la nature elle-même, dans sa sagesse infinie, a offerte à Mathieu. Au hasard d’une promenade avec notre chien, qui ne pisse jamais mieux qu’en territoire canadian, le Monument Mathieu nous est apparu, comme révélé dans sa sublime vacuité. Là comme Thérèse d’Avila, extasiée dans sa chair bientôt incorruptible, présence immaculée qu’aucune matérialité ne souille, indéniable de vérité, parfaitement intangible. Le vide pur tel qu’en lui-même, notre petit abîme à nous.
Mathieu Thérèse |
Nous avons vu sans voir et nous retournons depuis, mon chien et moi, en hommage à Mathieu. Bientôt, d’autres verront et reviendront. Un jour, il y aura des promeneur.euse.s du dimanche et des coureur.euse.s, des badaud.e.s et des fidèles, des petits couples qui se tiendront la main en marchant, des parents et des poussettes. À force de réseaux : tamtams, touristes, selfies, tweets, posts et likes. Un jour, contre la mondialisation et pour la démondialisation, en notre nom à nous autres, sans porter de masque, mais notre drapeau bien haut, nous nous rassemblerons au Monument Mathieu. Mathieu martyr, ce sera notre Place à nous, comme il.elle.s ont la leur à Beyrouth. Occupy Mathieu, Mathieu Multitude, Mathieu immanent. Mathieu Bloom, mais aussi Mathieu Duce, Mathieu César, QMathieu, Mathieu capo. Mathieu dispositif dans le monde cybernétique, Mathieu hégémonique. Rien ne saura justifier le fait de vivre sans Mathieu.
« Et par une sorte d’aliénation contagieuse, chaque coin de rue, chaque rue et chaque ruelle, chaque terrain vague, aura son Monument Mathieu, vide dans le vague. »
Et par une sorte d’aliénation contagieuse, chaque coin de rue, chaque rue et chaque ruelle, chaque terrain vague, aura son Monument Mathieu, vide dans le vague. Sur chaque parvis d’église, un Monument Mathieu. À chaque maison son Monument Mathieu, et dans chaque cœur et chaque esprit, au plus profond de nous. Des forêts seront rasées pour faire place à d’immenses Monuments Mathieu. Mathieu a été à la peine, ce sera bien qu’il soit à l’honneur. Fort de Mathieu, nous oserons retourner contre elle-même l’histoire inventée et proclamerons bien haut et bien fort : Mathieu’s Life Matters, #MetooMathieu. Nous pisserons sur tous les crucifix du jour. Mathieu, j’écris ton nom; exister, c’est combattre ce qui nie Mathieu.
De vent et de vide plutôt que de bronze ou de pierre, jamais les Monuments Mathieu, puissent-ils être infiniment nombreux, ne seront déshonorés par les pigeons ou pris pour cible par les antiracistes québécois.es. Aucun tag ne viendra jamais les souiller. Les Monuments Mathieu seront éternels, inexpugnables, imperméables, rédhibitoires.
S’il n’y avait pas de Québec, il n’y aurait pas de Mathieu. Jamais plus notre histoire ne se fera autrement qu’en présence de Mathieu. ⬤