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FUCK LA SOUCHE
Ou : mangeons du bon petit-pain blanc


Nous sommes face, au Québec, à une population dont une majorité est d’extraction européenne (appelée la « souche ») qui, par sa trajectoire économique et à travers les aléas de l’histoire coloniale complexe de la Nord-Amérique, se trouve périodiquement sur une ligne de faille politique et culturelle du racisme impérial britannique. Ce dernier est la matrice générale de la blanchitude contemporaine en Amérique du Nord.


Le pétrin originel

Rappelons d’abord que le segment de population qui forme le noyau initial de peuplement européen au Québec est sans représentation politique pendant près de deux cent ans sous le régime anglais (de 1760 à 1848). C’est une population d’origine européenne, mais soumise à différents régimes d’expropriation et d’exploitation systématiques sur deux continents (de la tenure seigneuriale, au salariat en passant par l’éducation religieuse). Elle est jusqu’au 20e siècle assimilée par les représentants de l’Empire aux autres races du Nouveau monde qui étaient jugées inférieures et qu’il fallait assimiler pour leur propre bien. Cette population s’est issue au statut de « Blanc » dans le cadre d’une démarche de reconnaissance institutionnelle de son statut de nation dans le cadre constitutionnel post-britannique (le seul chemin possible vers la dignité politique dans ce cadre), et, conséquemment, par la prise de contrôle opérée sur le territoires et ses ressources. C’est à titre de Québécois que ce peuple que l’on pourrait dire subspontané s’est positionné comme colonisateur moderne des peuples autochtones, et qu’il a pu sécuriser sa place par le fait de l’intégration économique de la population par le salariat du côté « blanc » de l’histoire.

« C’est à titre de Québécois que ce peuple que l’on pourrait dire subspontané s’est positionné comme colonisateur moderne des peuples autochtones, et qu’il a pu sécuriser sa place par le fait de l’intégration économique de la population par le salariat du côté « blanc » de l’histoire. »

En effet, la population européenne qui forme le noyau keb initial avait une place relativement basse dans la hiérarchie britannique des races colonisatrices. Elle se situait certes au dessus des Autochtones, mais souvent confondues avec eux par les mélanges que l’on supposaient exister dans le cadre notamment de la traite de fourrures. Elle se situait également résolument au dessus des esclaves autochtones et noirs (et les congrégations religieuses comme les bourgeois parmi les anciens Canadiens ont possédé des esclaves), mais le grand nombre tenaient des rôles d’engagés et de domestiques, puis éventuellement d’habitants (selon un modèle léger de servage). C’était dans tous les cas une population largement illettrée, hors de tout doute une population servile, dont l’installation en Amérique était essentiellement tributaire des politiques impériales stratégiques d’engagement de la France absolutiste, puis des politiques autoritaires d’occupation du territoire britanniques. Les anciens Canadiens, sous l’empire britannique et jusqu’à la fin de l’époque du Canada français traditionnel dans les années 1960, constituaient selon le racisme impérial en vigueur une forme de white trash, une population blanche-poubelle, race de pea soups, de water boys, et locuteurs d’un loosy french (selon la formule lapidaire de Pierre-Elliot Trudeau dans un discours électoral prononcé à Hamilton, Ont. en 1968).

La trajectoire des Canadiens français devenus Québécois au sein du racisme impérial britannique est ainsi fortement paradoxale. Ce sont des « blancs de peau » qui ne sont pas considérés comme aussi blancs que les propriétaire des moyens de production : ils ne sont pas assez français pour retourner en France après la conquête britannique, ils ne sont pas assez anglais pour être admis dans les institutions britanniques après la conquête. Les Québécois sont des blancs lousy. Ils parlent, surtout, une langue qui témoigne de leur bassesse, de leur illettrisme, qui trahit leurs basses origines et souligne la faible crédibilité de leur revendication du statut de maître – aussi spécieux soit ce désir d’être le maître.

L’affirmation de la blanchitude

Ainsi, l’histoire de l’émancipation québécoise peut être lue comme mettant en scène des gens qui veulent être reconnus comme Blancs à part entière, qui cherchent à (se) convaincre qu’ils sont tels, qui sont déterminés à s’emparer des marqueurs sociaux, économiques et culturels de la blanchitude. Le langage ordinaire témoigne de cette reproduction de soi sous le mode de la fantaisie raciale et de cette parole qui se tient aux abois sur la ligne de faille coloniale. C’est à coup de formules incantatoires que la ligne est tracée, retracée, performée, angoissée, forcée dans la silva rerum du racontar : « on est pas des sauvages », « on est pas sortis du bois », « on travaille comme des nègres », « on est pas né pour un petit pain », « on est pas des trous d’cul », « on nous traite comme de la marde », « on compte pour des zéros ».

La peur d’être assimilé aux peuples autochtones, le désir de « sortir du bois » où on se sent réduit, c’est-à-dire le désir furieux de s’installer à demeure dans la « civilisation », mais aussi la lamentation selon laquelle on se voit constamment assimilé aux personnes noires soumises à l’esclavage, au travail forcé (« travailler comme un nègre », « nègre blanc »), et la stéréotypie sur laquelle est reproduite l’exclusion : le « wâbo », le « kawish », la « squaw », le juif malfaisant, le musulman terroriste, la femme voilée, l’asiatique besogneux – tout cela témoigne de frontières identitaires fragiles et de la présence schizoïde d’une menace au moi-nous-blanc-bec qu’il faut sans cesse repousser. Une menace qui ne se trouve pas à l’extérieur de soi, mais bien à l’intérieur, la menace née du seul fait d’être ce que l’on est dans le cadre impérial britannique : un peuple minable, un peuple à assimiler, un peuple proche des populations qui, du point de vue du pouvoir rapace et implacable et raffiné de l’empire (le pouvoir français, puis le pouvoir anglais, puis le pouvoir du capital), étaient les moins civilisées, les plus brunes et les plus noires.

« La peur d’être assimilé aux peuples autochtones, le désir de « sortir du bois » où on se sent réduit, c’est-à-dire le désir furieux de s’installer à demeure dans la « civilisation », mais aussi la lamentation selon laquelle on se voit constamment assimilé aux personnes noires soumises à l’esclavage, au travail forcé (« travailler comme un nègre », « nègre blanc »), et la stéréotypie sur laquelle est reproduite l’exclusion : le « wâbo », le « kawish », la « squaw », le juif malfaisant, le musulman terroriste, la femme voilée, l’asiatique besogneux – tout cela témoigne de frontières identitaires fragiles et de la présence schizoïde d’une menace au moi-nous-blanc-bec qu’il faut sans cesse repousser. »

Il y a donc une « fragilité blanche » particulièrement forte au Québec, qui se manifeste aujourd’hui devant la transformation de la démographie nord-américaine et les luttes politiques antiracistes et décoloniales. Les Québécois du fantasme de la souche sont des colonisés qui sont aussi des colonisateurs, des colonisés devenus colonisateurs après tout le monde, se réclamant d’une colonisation antérieure française de laquelle ils sont certes issus, mais dont ils n’étaient que la force de travail dépossédée, et qui se hissent au statut de colonisateur-en-français comme pour gommer ce fait initial de dépossession, comme si parler en français et être Français était la même chose. C’est une affirmation collective entièrement prise dans les rets du racisme impérial, sans boussole éthique autre que celle de « sauver sa [blanche] peau ».

Cette conjoncture particulière de la blanchitude de la souche éclaire peut-être le fait que l’existence affirmée de racisme systémique dans la société heurte tant les Québécois qui sont issus des Canadiens français qui sont issus des anciens Canadiens. Elle touche d’abord à la corde sensible d’une exploitation historique réelle qui n’est pas reconnue, qui est niée, ou que l’on juge, en grande partie à raison, faire partie du passé, ou bien relative par rapport à d’autres formes plus actuelles de dominations historiques. Ensuite, le racisme est encore souvent interprété au Québec comme découlant de préjugés personnels ou de problèmes psychologiques. Et en l’occurrence, se faire traiter de raciste, c’est la même chose que de se faire traiter de retardé, d’imbécile… de loosy. Il y a une blessure qui par là s’enkyste (trop de gluten?), qui provoque une résistance traumatique à la remise en question collective. La souche souffre et résiste et ne sait le faire autrement qu’en rejouant le drame colonial, qui réactive alors les puissances du racisme impérial le long des lignes de failles qui sont les stigmates de la culture.

Reste à comprendre comment s’essoucher le keb sans devenir un « Anglais », c’est-à-dire, en vieux canadien, un partisan de l’empire.

Article issu de notre partenariat non-autorisé avec Folie/Culture : https://folieculture.org/fr/hugo-nadeau-pour-toujours-mardi/

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